Avant la première gifle...
- Marya PERASTE
- 17 mai 2021
- 5 min de lecture

Marie-France Hirigoyen, l'auteure du Harcèlement moral, dénonce dans “Femmes sous emprise” les violences verbales et psychologiques au sein du couple. Elle a conçu avec nous ce lexique des expressions qui font mal. Un guide de la vigilance au quotidien.
A quel moment l’emprise amoureuse devient-elle dangereuse ? Quand faut-il s’inquiéter de la violence dans un couple ? Les campagnes de prévention le disent toutes : à partir de la première gifle. Le docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre et psychanalyste, explique quant à elle que c’est bien avant la première gifle, dans les mots, que la violence prend racine…
« La difficulté à repérer les violences psychologiques vient de ce que la limite en est imprécise, explique-t-elle. Un même acte peut prendre des significations différentes suivant le contexte. S’il est possible d’évaluer les aspects physiques de la violence, il est en revanche beaucoup plus difficile de mesurer ce que ressent une victime de violence psychologique. »
Il s’agit moins de se demander « Est-ce que c’est normal ? » que « Est-ce que cela me convient ? » Dans un couple, la vraie difficulté, c’est de trouver une souplesse, un espace de liberté dans lequel les désirs de chacun peuvent s’épanouir. Etre amoureux, c’est être dans une emprise réciproque, dans un échange, y compris lors d’une scène de ménage ! La violence, c’est l’absence de réciprocité ; quand l’un donne tout et ne reçoit rien ; quand la force est toujours dans le même camp. Là commence le piège. Bien avant la gifle. Marie-France Hirigoyen a bien voulu nous guider à travers ces violences invisibles.
Petit lexique à usage préventif…
« Je sais mieux que toi ce qui est bon pour toi »
Le contrôle est l’un des premiers ressorts du déséquilibre : peu à peu, l’un prend le dessus sur l’autre. Il décide quels vêtements conviennent le mieux – ou le moins mal – ; réveille l’autre dans son sommeil parce que lui-même n’arrive pas à dormir ; décourage tout projet épanouissant (« Tu n’y arriveras pas », « Tu n’es pas au niveau ») ; décide pour deux le menu du déjeuner ou les amis qu’il est agréable de voir, le programme télé et les positions politiques, le lieu où partir en vacances, ce qui est bon, ce qui est laid…
« Je préfère que tu ne le fasses pas sans moi »
L’un des grands classiques de la violence psychologique est l’isolement, à la fois cause et conséquence de la maltraitance. L’objectif est que la victime ne se rende même plus compte que ce qu’elle vit n’est pas acceptable. Peu à peu, sans l’avoir réellement décidé, mais parce que « c’est plus simple », elle se coupe de sa famille, de ses amis, et même parfois de tout milieu professionnel ; ne conduit plus, ne dispose plus d’aucun moyen de paiement, ne va plus nulle part toute seule… Confinée dans son propre huis clos, elle est privée de moyen d’action, et même de réaction.
« Ce n’est pas mon problème »
La violence morale, c’est aussi l’indifférence, le refus d’être concerné par l’autre. C’est faire preuve d’une insensibilité envers son conjoint ou afficher ostensiblement du rejet ou du mépris. C’est ignorer ses besoins, ses sentiments, ou créer intentionnellement une situation de manque et de frustration pour maintenir l’autre en insécurité ; refuser de lui parler, de sortir ensemble, de l’accompagner à l’hôpital, d’aller aux fêtes de famille ; bouder plusieurs jours de suite sans expliquer pourquoi. C’est aussi ne pas tenir compte de l’état physique ou psychologique de l’autre, par exemple, vouloir faire l’amour après une violente dispute ou encore exiger un effort physique de quelqu’un qui est malade…
« Tu me prends pour un(e) imbécile ? »
La jalousie, lorsqu’elle devient pathologique, est une autre forme de contrôle. Ce qu’un jaloux ne supporte pas, c’est l’altérité de son conjoint. Il veut le posséder totalement, et exige de lui une présence continue et exclusive. Or, même si son conjoint se soumet, ne sort pas seul, réduit ses contacts avec l’extérieur, il y aura toujours une insatisfaction, car il reste « autre », et ça, c’est insupportable… Il n’est pas rare que cette jalousie excessive débouche sur le harcèlement : des questions répétées pendant des jours et des jours, des appels incessants pour vérifier un emploi du temps, la surveillance du courrier, du téléphone, des e-mails…
« N’importe quoi… »
Le dénigrement est l’une des armes les plus terribles de la violence morale est. Il s’agit avant tout d’atteindre l’estime de soi de la personne, de lui montrer qu’elle ne vaut rien. La violence s’exprime sous forme d’attitudes dédaigneuses et de paroles blessantes, de propos méprisants, de remarques déplaisantes. Tout peut faire l’objet de cette disqualification : les capacités intellectuelles, les idées, les émotions (« T’es sans cesse en train de pleurnicher », etc.), le physique, la famille, les amis, le passé, les capacités parentales…
Du dénigrement aux humiliations, il n’y a qu’un pas, imperceptible mais assez vite franchi : yeux au ciel, dos tourné, ricanements, mais aussi crachats, rots, pets, souvent suivis d’humiliations sexuelles, dont la plupart des victimes ont beaucoup de honte à parler. Humilier, rabaisser, ridiculiser est le propre de la violence psychologique. L’autre n’étant qu’un exutoire à sa propre rage, il n’a pas d’existence propre. Il n’est pas respectable.
« De quoi t’as peur ? »
Claquer les portes, briser des objets pour manifester sa mauvaise humeur, mais aussi rouler à toute allure, faire crisser les pneus de la voiture, jouer « l’air de rien » avec un objet dangereux, malmener un animal domestique : ces comportements constituent des actes d’intimidation. Il s’agit tout de même bien d’une violence indirecte, qui envoie un message clair : « Regarde ma force ! Regarde ce que je peux (te) faire ! »
« Si tu franchis cette porte… »
La violence psychologique peut comporter des menaces : enlever les enfants, couper les vivres, frapper. Il est aussi possible de suggérer qu’il y aura des représailles sur l’entourage si l’autre n’agit pas dans le sens attendu. L’anticipation d’un coup fait autant de mal, pour le psychisme, que le coup porté réellement. Une autre menace extrêmement grave : le chantage au suicide, qui conduit l’autre à endosser la responsabilité de la violence : « C’est ma faute, je n’ai pas su l’aider. »
« T’as qu’à partir ! »
Tant que la première gifle n’est pas arrivée, la plupart des personnes victimes de violence dans leur couple ignorent qu’elles en sont victimes. Il faut même, souvent, attendre la première blessure grave pour qu’elles se rendent à l’évidence. Pire : très fréquemment, une victime qui a eu le courage de s’enfuir et de porter plainte finit par retirer sa plainte et rentrer chez elle. C’est toute la complexité de l’emprise et du conditionnement (qui n’a rien à voir avec le masochisme). Peu à peu, la victime perd son discernement et s’enferme dans un imbroglio psychoaffectif dont il est difficile de cerner les contours, et donc, de se libérer. Une bonne raison de ne pas attendre l’irréparable pour réagir…
« Ce n’est pas ma faute »
Tous les violents ainsi que toutes leurs victimes disposent d’une vaste panoplie d’excuses, au moins dans un premier temps, pour justifier l’apparition de la violence. Parce qu’un couple, c’est d’abord une histoire d’amour, une envie de comprendre l’autre, et même d’aimer ses fêlures. Dans la plupart des cas, c’est vrai : ce n’est pas sa faute. Stress, blessures d’enfances, maladie mentale, perversité, éducation, fragilité… La violence a toujours une origine. Mais ce n’est pas une raison pour la laisser s’installer. Surtout lorsque les spécialistes affirment que, prise à temps, elle peut être soignée, et remise à sa place. Avant la première gifle.
Texte de Valérie Péronnet
Si vous vivez ces situations, ne restez pas seul (e) !. Voir le post "J'étais un homme violent mais je ne le savais pas". Vous trouverez des numéros à appeler pour vous aider.
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